La légitime défense
22 février 2015Selon les arrêts Devaud du 21 novembre 1961, et Cousinet du 16 février 1967, « la légitime défense est par nature inconciliable avec le caractère involontaire d’une infraction mais également elle ne peut être admise que si l’acte de défense, souverainement apprécié par les juges du fond, n’est pas disproportionné par rapport à l’agression. »
Pour pouvoir invoquer utilement la légitime défense, une personne doit en premier lieu prouver qu’elle a été victime d’une agression. Cependant on peut noter que l’ancien article 328 du Code pénal de 1810 ne précisait à travers la notion de défense légitime, les caractères que devait présenter cette agression : « Il n’y a ni crime, ni délit par la nécessité actuelle de la légitime défense de soi-même ou d’autrui. »
Aujourd’hui, notre article 122-5 du Code pénal (de 1994 cette fois) est plus précis, étant donné qu’il édicte que l’atteinte contre laquelle on réagit doit être injustifiée. On peut noter que c’est à partir du moment où il existe une nécessité actuelle de défense, que la seule raison plausible soit une agression. Celle-ci peut se définir comme la menace d’un mal imminent qui n’a pu être écarté qu’en commettant le délit (ce qu’énonce l’arrêt de la Cour de cassation en date du 17 juin 1927).
Tant et si bien qu’agression et riposte doivent obéir à une unité de temps ; réagir contre un mal passé constitue seulement une vengeance et non une légitime défense. C’est à partir du moment où le péril n’existe plus que la personne doit s’en remettre aux autorités légales, la justice privée n’est point autorisée dans notre Etat.
Ce pouvoir donné par le législateur d’une forme de justice personnelle ne doit pas devenir (justement) une justice privée pour autant. Par conséquent, l’individu attaqué ne doit pas profiter de cette situation pour assouvir une vengeance personnelle, expression de sa conception subjective de la justice. Par conséquent, cette légitime défense doit se faire dans une proportionnalité du préjudice subit.
La jurisprudence a voulu assurer le juste équilibre, elle a donc instauré certaines conditions relatives à l’acte de défense qui doit présenter, pour justifier l’infraction une certaine nature (I) et certains caractères (II)
I – Une légitime défense exercée de façon volontaire
C’est l’arrêt Cousinet, rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 16 février 1967 qui a énoncé ce principe. Il y aurait donc une incompatibilité entre la notion de légitime défense et celle d’infraction involontaire. Cela parait en effet évident, qui pourrait se défendre sans le faire exprès ? Il n’y a pas de défense par négligence voire imprudence ! Soit l’individu s’est défendu de façon volontaire et dans ce cas il peut prétendre à bénéficier de la légitime défense, soit l’infraction est involontaire et nous ne pouvons nous situer dans le domaine de la défense.
Justement, je parle de cet arrêt Cousinet, mais qu’en est-il ? Que c’est-il passé ? En l’espèce Cousinet lors d’une querelle avait brutalement repoussé un ivrogne qui s’était grièvement blessé en tombant. Le tribunal avait condamné Cousinet étant donné qu’ils avaient retenu la qualification de coups et blessures involontaires. La Cour d’Appel de Riom pour confirmer le jugement avait retenu cette même qualification des faits.
Le moyen au pourvoi de Cousinet fut qu’il prétendait que les coups et blessures étaient volontaires et non involontaires. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi par un attendu de principe en estimant que la qualification initiale était pleinement justifiée.
De ce fait, la Cour d’appel était fondée à rejeter le fait justification de la légitime défense étant donné que « la légitime défense est inconciliable avec le caractère involontaire de l’infraction. »
Par conséquent, la légitime défense ne peut être invoquée que dans la mesure où la riposte à une agression ait été exécutée de façon volontaire. Nous allons étudier que cette riposte volontaire doit se faire tout de même dans des conditions proportionnelles.
II – Une légitime défense exercée de façon proportionnelle au préjudice subit
Un acte de défense ne peut être justifié que dans la mesure de sa nécessité, ce qui implique un rapport de proportionnalité avec l’acte d’agression. Par conséquent, il est logique de comprendre que « l’acte de défense devient illégitime lorsqu’il cause un mal en disproportion manifeste avec celui qui résulterait de la menace réalisée. »
Cette notion allait justement être précisée dans l’arrêt Devaud. En l’espère une altercation avait éclaté dans un café entre Devaud et une autre personne : cette dernière avait saisi à la gorge de Devaud qui, n’arrivant pas à faire lâcher prise son adversaire, s’était alors emparé d’une bouteille et l’avait frappé avec sur la tête, lui provoquant ainsi une grave blessure. La Cour d’appel de Limoges n’avait pas caractérisé la légitime défense aux vues de la réaction jugée disproportionnée de Devaud au motif que « les antagonistes, qui se connaissaient bien, se trouvaient dans le café entourés de personnes connues, habitant le même village, qui pouvaient intervenir pour les calmer et les séparer ; que, bien que le jeune Duthier ait saisit violemment le cou de Devaud, il n’était pas nécessaire pour lui de répliquer par un violent coup de bouteille ; que cette bouteille cassée avec violence équivalait à une arme dangereuse ; que cette violence n’était pas nécessaire. » On peut remarquer que les juges reconnaissaient indirectement qu’une riposte aurait été justifiée si elle avait été contenue dans des limites plus étroites.
La Cour de cassation dans son arrêt en date du 21 novembre 1961 a reconnu le bien-fondé de l’arrêt de la Cour d’appel au motif que « dans les circonstances souverainement constatées par l’arrêt, la cour a pu estimer, tout en retenant l’excuse de provocation, la défense en disproportion avec l’agression dont il était l’objet, et ne point reconnaitre et admettre le péril actuel commandant la nécessité de la blessure faite. »
Par conséquent on peut en déduire qu’il y ait une exigence de deux conditions cumulative : la nécessité d’une part, et la proportionnalité d’autre part. La doctrine est partisane de cette explication étant donné que pour elle la défense doit être nécessaire pour être légitime. Mais peut-on y voir une explication connexe ? Est-ce que si l’acte de défense est proportionnel alors il est nécessaire ?