L’enfant est-il responsable de ses actes ?
18 septembre 2012La Cour de cassation a opéré un important revirement de jurisprudence par deux arrêts de son Assemblée plénière qui ont définitivement abandonné l’imputabilité comme élément de la faute délictuelle. L’arrêt de la seconde chambre civile de la Cour de Cassation du 12 décembre 1984 s’inscrit dans cette continuité.(1)
En l’espèce, Jean-Claude B, âgé de sept ans jouait dans une cour d’école avec Nicolas Y, ayant le même âge. Le premier poussa le second qui tomba en heurtant un banc et fut blessé.
Madame A, demanderesse, agissant en qualité d’administrateur de la personne des biens de Nicolas Y, assigne en réparation du préjudice subit par ce dernier Madame B, en qualité de civilement responsable et d’administrateur légal de la personne et des biens de Jean-Claude B ainsi que la société d’assurance moderne des Agriculteurs.
La Cour d’Appel, dans son arrêt infirmatif, déclare Jean-Claude B… responsable du dommage causé à Nicolas Y au motif que la faculté de discernement de l’enfant n’était pas discutée et que la poussée nécessaire au jeu ne constituerait pas un geste brutal.
Madame B, forme un pourvoi en cassation. Dans son arrêt du 12 décembre 1984, la Cour de Cassation réunie en deuxième chambre civile, rejette le pourvoi.
Les juges ont du se poser la question suivante :
« Y a-t-il une responsabilité pour faute de l’enfant dépourvu de discernement ? »
A cette question les juges ont répondu de la manière suivante :
« La Cour d’Appel qui n’était pas tenue de vérifier si le mineur était capable de discerner les conséquences de son acte, a caractérisé la faute commise par lui ».
Il convient d’étudier la responsabilité de l’enfant d’une part (I) avant de trouver une explication sur cette nécessité de responsabilité de l’enfant dépourvu de discernement d’autre part (II).
I – La notion de faute : l’enfant responsable
Il sera judicieux d’expliquer d’une part la notion d’appréciation abstraite de la faute (A) pour envisager l’unique conception objective de celle-ci (B)
A – Vers une appréciation abstraite de la faute de l’enfant
La solution de la Cour de Cassation réunie en seconde chambre civile le mercredi 12 décembre 1984 s’inscrit dans la continuité d’un grand revirement de jurisprudence opéré quelques mois plus tôt par deux arrêts d’Assemblée plénière du 9 mai de cette même année. La responsabilité pour faute de l’enfant dépourvu de discernement était exclue jusqu’en 1984, depuis, la faute du mineur peut être retenue à son encontre même s’il n’est pas capable de discerner les conséquences de son acte.
Il y a donc une appréciation abstraire de la faute de l’enfant (infans), dans cette perspective ce dernier devrait être apprécié non par rapport au comportement d’un autre enfant du même âge mais au regard du modèle abstrait du « bon père de famille », et donc la solution peut sembler sévère. En terme de jurisprudence, il faut ici se référer à l’arrêt rendu le 28 février 1996 par la deuxième chambre civile de la cour de cassation qui a censuré une décision de Cour d’Appel qui avait refusée de retenir la faute d’un enfant au motif que le comportement reproché était normal compte tenu de son jeune âge.
Cependant, une autre approche plaide en faveur d’une comparaison du comportement de l’enfant avec celui d’un autre enfant du même âge. En effet, l’absence de discernement n’étant plus un obstacle à la qualification de faute, elle devrait être appréciée par rapport à un modèle de référence d’un enfant d’âge équivalent. Une partie de la doctrine plaide en faveur de cette solution.
B – Consécration d’une conception purement objective de la faute
Ce qu’il ressort des arrêts Lemaire et Derguini est l’affirmation que la capacité de discernement de l’auteur de la faute est indifférente à l’application de l’article 1382 du Code Civil. L’imputabilité n’est donc plus un élément de la faute qui devient purement objective. Cette solution a été confirmée par l’arrêt du 12 décembre 1984.
Il est intéressant de noter que l’avant projet Catala contenait en son article 1340-1 une disposition selon laquelle « Celui qui a causé un dommage à autrui alors qu’il était privé de discernement n’en est pas moins obligé à réparation ». Notre arrêt du 12 décembre 1984 en est une pure illustration, la Cour de Cassation a suivi la Cour d’Appel qui a déclaré l’enfant responsable du dommage causé en affirmant que la faculté de discernement n’était pas discutée.
On peut déduire que la victime peut agir directement contre l’infans sur le fondement la responsabilité civile délictuelle prévue aux articles 1382 ou 1383 du Code civil. Cependant où est l’intérêt d’agir contre un enfant ? Il y a un attachement des juges au principe dégagé par l’arrêt Lemaire qui n’est que la conséquence de l’admission de la responsabilité de l’infans auteur du dommage.
La doctrine s’est toutefois émue de la sévérité de la solution à l’égard du très jeune enfant. La disparition de la condition d’imputabilité rend sans objet la discussion relative à la réduction du droit à réparation en raison du fait non fautif de la victime auquel la jurisprudence ne fait plus allusion.
II – L’enfant responsable, une réelle nécessite ?
Il conviendra ici de se questionner sur la nécessité d’une telle solution (A) pour finalement observer que l’enfant n’est pas toujours responsable (B)
A –Un revirement de jurisprudence nécessaire pour une indemnisation de la victime ?
Avant le revirement de jurisprudence des arrêts de 1984, la responsabilité pour faute de l’enfant était exclue. La faute délictuelle supposait que le responsable ait eu conscience de la portée de ses actes. Par conséquent, nous devons déduire ici qu’un individu ne pouvait être déclaré fautif qu’à la condition qu’il soit libre, et conscient de la portée de ses actes, ce qui n’est pas le cas des enfants dits en bas âges (infans).
Tant et si bien que cela excluait l’indemnisation des victimes lorsque celles-ci subissaient un préjudice causé par le seul fait d’une personne dépourvue de conscience. Cela apparaissait donc critiquable du point de vue de la victime.
Cependant l’apport de la solution de la Cour de cassation est-elle nécessaire ? En effet, quand un jeune enfant est l’auteur d’une faute, la mise en jeu de la responsabilité de ses parents assure de toute façon à la victime une indemnisation de ses dommages selon la règle posée à l’article 1384 dans son paragraphe 4. En effet cet article du code civil permet d’agir contre les parents de l’enfant avec un régime qui est plus favorable avec des parents plus certainement solvable. Il est judicieux de remarquer que très souvent, l’infans est insolvable : « Le père et la mère, en tant qu’ils exercent l’autorité parentale, sont solidairement responsable du dommage causé par leurs enfants mineurs habitants avec eux ».
B – Vers un adoucissement de la solution ?
Nous avons étudié précédemment qu’en terme de faute délictuelle de l’enfant, sa capacité de discernement n’était pas prise en compte. Cependant il a été suggéré d’introduire dans l’appréciation de la faute de l’enfant en bas âge certains éléments attestant la situation de faiblesse dans laquelle il se trouve tels que par exemple la crainte que la situation pourrait lui inspirer, crainte qui justifierait sa réaction tout en lui ôtant son caractère fautif.
La jurisprudence n’est vraisemblablement pas restée insensible à ces suggestions : La première chambre civile de la Cour de Cassation du 18 février 1986 a opéré une appréciation sur le fait que le manque de force physique est un facteur susceptible d’atténuer voire d’exclure la responsabilité de l’enfant en bas âge. N’y a-t-il pas ici une appréciation sur les facultés de discernement de l’enfant ?(2)
Enfin, Dans son arrêt du 21 novembre 1990, la Cour de cassation réunie en deuxième chambre civile avait déclaré que le comportement de l’enfant, compte tenu de son jeune âge, ne pouvait être considéré comme constituant une faute ayant concouru à la réalisation de son dommage. Il est possible que le terme de « facultés de discernement » soit mise à mal par la jurisprudence.
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(1) ATTENTION : La responsabilité pénale des mineurs est différente de la responsabilité civile décrite dans cet article
(2) Ce que rappelle Françoise Duquesne dans sa note au Dalloz 1996